Edito - Le crépuscule de la propagande

Par Aicha Akalay

Il y a des crises qui peuvent précipiter un monde vers sa fin. Il faut que la crise à Al Hoceïma soit de celles-là. Que cet épisode signe enfin la mise à mort de la propagande d’Etat, avant qu’elle n’achève elle-même ce dernier. Il est édifiant aujourd’hui de constater dans quelle mesure l’Etat fait la cuisante expérience du règne de l’intox. Pas seulement parce que les fake news sont dans l’air du temps, mais parce que l’Etat a réduit au silence l’information au bénéfice de la propagande, au sein d’outils qui devraient être ses meilleures armes.

A trop museler les médias publics, à ne les considérer que comme des moyens pour relayer la version officielle — souvent archaïque et poussiéreuse —, ils ont été décrédibilisés. Les Marocains font plus confiance aux médias étrangers ou aux réseaux sociaux qu’aux médias qu’ils payent de leurs impôts. Et c’est le vrai pouvoir qu’il faut blâmer. Pour dire les choses clairement, nul n’ignore que Fayçal Laraïchi, président de la SNRT et de Soread 2M, grand maître du pôle audiovisuel public, prend ses instructions du Palais. Quand les chaînes publiques taisent un mouvement de contestation pendant des mois ou qu’elles diffusent des images de hooligans pour illustrer une gronde sociale sans jamais mentionner l’artifice, elles n’assument pas leur devoir de service public, celui d’informer. Pire, elles fragilisent l’Etat, qui devient inaudible en période de crise.  Pour avoir couvert le Hirak sur le terrain, nous pouvons attester des efforts de responsables publics et même de l’Intérieur pour répondre à nos nombreuses sollicitations. Peu de walis ont été aussi accessibles que Mohamed El Yaacoubi en plein Hirak. Le ministre de l’Intérieur a lui aussi confirmé ou infirmé des informations qui circulaient aussi souvent que son agenda le lui permettait, chargeant ses équipes d’apporter les précisions nécessaires.

Nous avons été rarement confrontés à un mutisme suspect. La gestion par les autorités de cette crise a été critiquée dans ces pages, et la critique a été acceptée. Mais la perception qu’en a l’opinion publique, la plus importante finalement, est différente. Le mythe de la militarisation n’a jamais été déconstruit efficacement. Al Hoceïma a-t-elle un centre d’oncologie actif ? Où en est la double voie reliant Al Hoceïma à Taza ? Qu’arrive-t-il au secteur de la pêche dans cette région ? Finalement, que s’est-il réellement passé le soir de la mort de Mouhcine Fikri, puisque l’enquête a révélé que son poisson n’a jamais quitté le port et n’a donc pas échoué dans le camion à ordures ? Toutes ces questions et beaucoup d’autres devaient, idéalement, être posées par les médias publics et recevoir des réponses précises de l’Etat.

L’allergie de l’Etat à l’information objective lui revient en pleine figure, quand c’est à son tour de se défendre face à l’intox. Les médias publics savent pourtant produire de l’information objective, il suffit de voir la couverture par 2M de la manifestation du 18 mai à Al Hoceïma. Les faits ont été relatés de manière professionnelle. Mais pour l’opinion, il ne s’agit que d’un emplâtre sur une jambe de bois, ces médias ayant trop souvent tu l’actualité qui n’arrangeait pas l’Etat. Une simple manière de rattraper des erreurs passées. Il faut que cette crise accouche de nouvelles pratiques. Des conférences de presse de nos responsables publics devant les médias nationaux — publics et privés — où la contradiction peut être apportée et les questions posées. Des briefs ponctuels pour expliquer. Et une marge de manœuvre accordée et respectée aux professionnels pour informer. Nous, médias, jouons aussi un rôle d’intermédiaire, clé de voûte de toute démocratie. Ces fameux intermédiaires qui font cruellement défaut aujourd’hui.