Edito - SOS Constitution

Par Aicha Akalay

Notre Constitution a six ans. Et aucune ride, c’est bien là le problème. Elle n’est toujours pas pleinement appliquée, sa pratique est à la traîne, et tout se passe comme si la norme juridique était plus en avance que le pouvoir, les partis et l’élite. Il aurait été heureux qu’elle soit questionnée, interprétée et même malmenée. Un chemin nécessaire à emprunter pour se la réapproprier. Mais elle reste au-dessus de nos têtes, inaccessible, et très peu incarnée par les responsables publics. Le Maroc a changé de Constitution en juillet 2011 — avec un plébiscite soviétique de 98,9% —, mais les mentalités n’ont finalement pas évolué. C’est d’autant plus regrettable que ce texte, quoi qu’en disent les esprits chagrins, a introduit de réelles révolutions. Douces, tiennent à préciser les constitutionnalistes ayant témoigné pour TelQuel (lire notre dossier du numéro 771 en kiosques jusqu’au 6 juillet). Par exemple, l’exception de constitutionnalité consacrée par la commission Mennouni est une avancée majeure. Appelée en France la QPC (question prioritaire de constitutionnalité), elle permet à tout citoyen d’attaquer une disposition législative qui serait contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution. Et des avancées, il y en a pléthore dans ce texte : le principe de non-discrimination, l’abandon de la sacralité du roi, la séparation des pouvoirs, la place plus grande accordée à la démocratie participative, aux Conseils importants…
Mais il faut se rendre à l’évidence, la tentation du recul est là. La scène politique, dominée par un Palais toujours puissant et un gouvernement extrêmement faible, en est la meilleure preuve. Ce n’était pas ça l’esprit de la Constitution. D’ailleurs, l’un des acteurs principaux de cette réforme de 2011, Mohamed Moâtassim, pourtant conseiller royal, a été écarté du premier cercle du pouvoir depuis. Il y a des signes qui ne trompent pas. Nous ne pouvons prétendre en connaître les raisons objectives, mais des proches du sérail l’accusent d’avoir ourdi un complot contre la monarchie en réduisant ses pouvoirs, et cela avec la complicité de certains partis politiques. Comprenez le PJD de Benkirane. Accusations très dures, mais révélatrices d’un état d’esprit. “Le pouvoir a retrouvé son art classique de gouverner, ce n’est pas une régression mais un retour aux sources”, résume assez justement l’une des plumes de la Constitution. Rappelant au passage que lors des travaux de la commission, ces résistances étaient déjà fortement présentes. Les gardiens du temple très actifs étaient à trouver du côté des islamistes et des conservateurs makhzéniens.
Quant aux autres, ceux qui se présentent comme modernes, fervents défenseurs du progrès, ils sont aux abonnés absents. Sur la liberté de conscience, que la commission Mennouni avait gravée dans le marbre, mais que le mécanisme politique a effacée, “la bataille a été perdue par le clan des progressistes sans même avoir été livrée”, regrette, dépité, l’un des membres du team de Mennouni. Un autre nous avoue avoir même fait fuiter un draft — qui avait déjà été partagé avec les milieux conservateurs, à en croire le fiel déversé, par Mustapha Khalfi notamment, contre la commission — auprès des milieux associatifs progressistes pour qu’ils montent au créneau. La coalition des conservateurs l’a emporté. Plus nombreux peut-être. Mais, surtout, unis pour la même cause et faisant fi des divergences. Quant aux jeunes du 20-Février et à certains milieux droit-de-l’hommistes proches de l’extrême gauche, il était plus important de vouer aux gémonies la commission Mennouni, composée de vendus au Makhzen, pas assez “purs” d’après eux, que d’appuyer les petites révolutions en gestation. Dommage pour le Maroc. Et pour le progrès.