En remontant un peu le temps, en le remontant d’un peu moins de vingt ans, il est possible de se rappeler d’une vision pour la télévision marocaine. De l’ouverture, de la modernité et de la qualité, peut-on résumer. Une vision qui fait sens quand on veut accompagner une construction démocratique. Avec 2M, le jeune Mohammed VI voulait dépoussiérer le petit écran et envoyer valdinguer la télé à la Basri. Pari réussi. Les nostalgiques citent les grands débats politiques menés par Malika Malak ou Samira Sitaïl, des JT audacieux, une grande place accordée à l’information, aux débats de société. Pour les plus jeunes, il suffit de convoquer YouTube pour découvrir ce qu’on ne voit plus aujourd’hui. Car, depuis, 2M a intégré un pôle audiovisuel public qui n’a de réalité que le nom , aux côtés de Medi 1 TV qu’on prétend privée. Ces médias audiovisuels pouvaient être les appuis d’une démocratie naissante, proposant une télévision citoyenne, un canal de communication fort et crédible de l’Etat. Aujourd’hui, ils n’en sont même pas des béquilles.
Beaucoup d’occasions ont été ratées, empêchant toute une vision de se réaliser. Il aurait fallu doter 2M de moyens ou la privatiser. Il en était question encore en 2011, mais le Printemps arabe a découragé les plus téméraires des libéralisateurs. Un peu plus tôt, il aurait fallu ouvrir le marché aux télévisions privées, mais les luttes d’influence entre deux cercles du pouvoir, proches du roi, ont eu raison de ce qui aurait pu être une belle révolution. Le marché publicitaire aurait été trop petit pour accueillir de nouvelles chaînes, a-t-on scandé et écrit, mais ce qui a fait pencher la balance est à chercher ailleurs, comme souvent. La télé c’est du pouvoir, et il ne se partage pas facilement. Il y a trois ans encore, lorsque Medi 1 TV allait recevoir les 800 millions de dirhams des Émiratis, un plan ambitieux était imaginé. Il était question d’organiser un pôle autour de Medi 1 TV, chaîne d’influence à l’étranger, 2M, produisant un contenu de qualité pour Marocains et MRE, et la radio, le tout grâce à un montage financier impliquant entre autres des partenaires étrangers et des professionnels de la télé. La RTM se cantonnant à son rôle actuel. Là encore rien n’a été osé.
Aujourd’hui, la télévision publique, comme l’éducation et la santé, ne concerne que le petit peuple. Ceux qui décident, ceux qui peuvent faire bouger les lignes, se soignent dans le privé, éduquent leurs enfants à la mission, et, naturellement, ne regardent que TF1 ou Al Jazeera. Pas étonnant alors de n’avoir aucun répondant quand on sonde nos responsables sur le devenir de l’audiovisuel national. Encore une fois, des bureaux du roi doit sortir une solution. Le Maroc a besoin de retrouver cette vision du début des années 2000 et d’en produire les déclinaisons. Il n’y a que Mohammed VI qui peut décider si les Marocains ont droit ou non à une télévision génératrice de débats, qui ne soit ni le porte-voix du Palais ni celui du gouvernement, mais un reflet honnête du quotidien. Surtout que le temps presse, la télévision est déjà dépassée et les enjeux se sont déplacés ailleurs, dans le digital. Un autre train que les responsables publics ont déjà raté.