Lundi dernier, le Boualem a fait un petit exercice. Soucieux de documenter notre mode de vie à l’attention des générations futures, il s’est amusé, le bougre, à faire le bilan de sa journée passée sur les réseaux sociaux. Avec la rigueur qu’on lui connaît, il a tout noté. Vous trouverez ci-après le résultat, sans soucis de classement, et merci. Zakaria Boualem, donc, en ce lundi, a commencé sa cyber-journée facebookienne par des politesses et autres civilités. Il a félicité de nouveaux parents, fait des bisous à de jeunes mariés, présenté des condoléances, souhaité de joyeux anniversaires à moult amis, le tout à chaque fois avec le bon émoticône (il faut faire attention à ça, c’est important). Ce n’est pas vraiment dans son habitude, mais il lui fallait, pour la rigueur de ce compte-rendu, vivre l’expérience résociale jusqu’au bout. Aussitôt, son téléphone est entré en transe : Facebook tenait à lui signaler que d’autres gens avaient félicité, fait des bisous, présenté des condoléances ou souhaité de joyeux anniversaires aux mêmes personnes que lui. Ça a duré toute la journée.
Il a regardé les vidéos qui étaient partagées, c’est ainsi qu’il a pu visionner tous les buts du week-end, même ceux qu’il avait déjà vus en direct. Il l’a quand même fait avec plaisir, ne me demandez pas pourquoi. Ensuite, il a fait un petit test de son noble faciès, et on lui a expliqué qu’il avait des ancêtres vikings, colombiens et russes, et il a aussitôt partagé cette information, elle avait l’air sérieuse, avant de se plonger dans la lecture d’un article qui expliquait que la solution au cancer était dans son frigo. Un article assez pauvre, il faut le dire, qui l’a emmené aussitôt vers un autre, où on décrivait les mécanismes de la grossophobie, dont il ignorait tout jusqu’alors, suivi par une liste de “photos qui ont l’air truquées mais qui ne le sont pas”, article qui l’a conduit aussitôt vers un débat où des patriotes français se demandaient s’ils pouvaient manger du couscous. Largement moins idiot, il est revenu sur sa timeline, où il a eu droit à une masse spectaculaire de clichés de poubelles casablancaises, de détritus sur les trottoirs, et autres horreurs que vous connaissez sans doute. Il a parcouru rapidement les commentaires, ils étaient unanimes : Casablanca est sale. Puis il est tombé sur des photos d’agressions, quelque chose d’assez gore. On y voyait de malheureuses victimes, entaillées par nos mousquetaires des rues, avec en dessous une masse de commentaires qui établissaient avec certitude un nouveau point incontestable : Casablanca est dangereuse. Il a ensuite pris le temps de lire un formidable article qui faisait un peu mal à l’orgueil, où il était question de l’Islande et de son programme pour la jeunesse, basé sur la culture et le sport, suivi de nombreux commentaires dont une bonne partie commençaient par “tfou”. Stoïque, il a continué sa petite balade où il a croisé pas mal de petites blagues sur le prix de l’iPhone X, quelques traits d’esprit sur la nouvelle saison de Games Of Thrones, une masse de selfies glorieux et de photos de plats en tout genre. Après les poubelles et les sabres, c’était rafraîchissant.
Puis il a ouvert sa messagerie et il s’est trouvé sommé de signer une quantité phénoménale de pétitions, traitant de la sécurité dans les bus, de la forêt de Benslimane, de la lagune de Oualidia ou de l’impunité d’un fonctionnaire qu’il ne connaît pas du tout. Etourdi par tant de requêtes, il s’est replié vers une page de sport, où on lui annonçait avec gravité la nouvelle du jour : Neymar avait unfollowé Cavani sur Instagram. Ne disposant pas d’un compte sur ce réseau pour vérifier cette affaire importante, il a aussitôt échoué sur un article lui présentant l’aéroport de Marrakech comme le plus beau du monde, et un autre où il était question des destinations les plus dangereuses pour les touristes. Heureux de constater que nous n’y figurions pas, il a continué sa route et il a eu droit à la vidéo de deux muezzins s’écharpant dans une mosquée, postée au-dessous d’un article où un illuminé décrétait que la nudité pendant les rapports sexuels invalidait le mariage. Refusant d’en savoir plus, il a éteint son ordinateur et il est venu écrire cette chronique, épuisé par le volume d’informations ingurgitées pendant la journée. Et merci.