EDITO - Les films des autres

Par Aicha Akalay

Ils ont passé une nuit à faire l’amour. Elle avait l’air de s’ennuyer parfois. Il semblait faire cavalier seul souvent. Quand il a éjaculé dans son bout de latex, elle a voulu jeter elle-même ce témoin de leurs ébats à la poubelle. Il a refusé. S’ensuit alors une scène où les deux amants tirent chacun vers soi le préservatif chargé de semence. L’homme tient-il à sa virilité ou bien a-t-il peur de l’usage que la femme peut en faire ? Elle, elle est choquée par ce manque de générosité ou cette confiance en soi exacerbée. Cette séquence, en plus d’être magistralement réalisée, est drôle, elle fait réfléchir. Evidemment, elle est tirée d’un film suédois, The square, dernière Palme d’or à Cannes, et grâce à la Semaine du film européen, le public marocain pourra apprécier cette jolie fenêtre sur le monde. Cette scène de fesses en est dépourvue. Pas de vulgarité, très peu de peau, mais un propos. Celui-là même qui manque au cinéma marocain. Pourquoi ces Européens dépensent-ils une énergie folle et des sommes importantes à soutenir leur cinéma et à le diffuser chez nous ? Nous avons la réponse : le Septième art n’est pas seulement un hobby de marginaux, c’est l’une des manières les plus puissantes pour un pays ou une société d’écrire son propre récit. A travers des histoires souvent banales, le cinéma permet surtout d’écrire le récit du vivre ensemble.

Notre récit à nous Marocains, tel qu’il est véhiculé par notre cinéma, ne fait pas réfléchir. D’ailleurs, aucun de nos films n’est jamais en compétition officielle à Cannes, temple de la cinéphilie mondiale. Il ne véhicule pas d’universel, donc il ne touche pas hors de nos frontières. C’est surtout un cinéma qui n’apporte rien. Du divertissement au mieux. Il trahit une volonté de ne pas déranger le jeu de quilles. Nos films ont l’apparence de quelque chose. L’apparence seulement. Certains ont trouvé la parade, ils saupoudrent leurs créations d’effets techniques, de mots crus, de quelques femmes qui se font prendre à des coins de rue, de clins d’œil appuyés à Scorsese ou Antonioni, et osent le qualificatif “nouvelle vague”. Pourtant, ils ne réinventent rien, ils renvoient à des situations, des problématiques, mais ne partagent pas de l’intime. C’est à se demander s’ils en ont de l’intimité, du “je” à partager. Les réalisateurs marocains sont intéressés par des sujets qui risquent d’intéresser. Ils ne sont que rarement concernés. “Tout ça, c’est de l’écume”, nous résume un fin connaisseur du secteur. Bien sûr, les exceptions existent, mais elles sont trop peu nombreuses pour que la production nationale puisse mériter notre indulgence.

La promesse du cinéma marocain n’a pas été tenue. Et l’arrivée de bigots au pouvoir n’a rien arrangé. En plus de la vacuité des propos, et des scénarios pas écrits, mal écrits, il y a aussi désormais les membres d’une commission censée soutenir le Septième art qui demandent : “Mais pourquoi Khadija embrasse Mohamed alors qu’ils ne sont pas mariés ?” Nous nous enfonçons avec célérité dans les ténèbres. Que faut-il donc faire ? Pleurer sur le Bergman que nous n’aurons jamais. Sur le cinéma du show off, modelé par une société du superficiel. Les écouter tous parler de financement alors que l’intelligence du propos ne se subventionne pas. Assister avec dépit à la fermeture de nos salles, un lieu formidable pour tisser du lien social. Et puis aller voir les films des autres. Ceux qui pensent, ceux qui ressentent, et ceux qui ont le désir fort du partage. Aux grands cinéastes, l’humanité reconnaissante.