Fatym Layachi - Bonté divine

Par Fatym Layachi

Ton père scrute la pluie, ta mère les soldes. Les semaines passent. Les week-ends s’enchaînent. Le temps s’égraine et ta vie s’étiole. Entre polémiques stériles et tberguig à moitié croustillant, la vie suit son cours sans grand intérêt ni beaucoup de saveurs. Et là, au milieu de choses tièdes, une nouvelle t’interpelle : “Une pétition contre la construction d’une mosquée à Agadir”. Le titre a de quoi faire réagir. C’est une première ! Du jamais vu. D’habitude ici, le fait religieux ne se questionne même pas. Alors refuser carrément son implantation semble être révolutionnaire. Tu hallucines de tant de nouveautés. Ça te semble tellement surréaliste. Tu te dis que les gens qui ont initié ce mouvement doivent être des illuminés totalement déconnectés de la réalité.

Alors tu la lis, cette pétition. Et là, c’est une évidence : ces gens sont pleins de bon sens. Ils dénoncent les trente-cinq millions huit cent mille dirhams prévus pour la construction d’une mosquée. Trente. Cinq. Millions. Ça te semble énorme pour ce que c’est. D’ailleurs, qu’est-ce que c’est ? Finalement, du béton, du zellige, du plâtre. Des lustres et des tapis. Ça te semble énorme mais tu ne vas pas commenter ce coût. Dans le plus beau pays du monde, les voies de l’immobilier sont comme celles du Seigneur : impénétrables. De généreux donateurs ont donc décidé d’investir une somme considérable dans un édifice religieux. En soi, tu trouves ça très beau et très généreux. Mais en lisant la pétition, tu te rends compte que les quarante mille âmes qui peuplent ce quartier ont peut-être des besoins plus urgents que leur salut. Il se trouve que dans ce quartier, il n’y a pas de commissariat, il y a des maisons de jeunesse qui n’ont jamais ouvert faute de moyens, il y a deux dispensaires sans matériel ni médicaments. Il n’y a pas de théâtre, pas de bibliothèque, pas d’école pour enfants handicapés. Il n’y a donc pas grand-chose. Et le peu qu’il y a se résume à du béton. Et quand un type décide d’investir par bonté dans ce quartier, c’est encore dans du béton. A quel moment il est indiqué qu’il faut à tout prix s’agenouiller entouré de zelliges verts pour implorer la miséricorde de Dieu ? C’est tout de même absurde d’en être arrivé là. Priorité à la forme, à l’emballage. Tu les entends d’ici, les cris d’orfraie de ton oncle, bigot de salon et affairiste des ablutions. “Mais comment ose-t-on s’opposer à un lieu sacré ? C’est scandaleux !” Alors, bien sûr que tout lieu de prière est sublime dans l’idée, mais tu as très envie de demander à ton oncle : “Ne sais-tu pas qu’Allah sait ce qu’il y a dans le ciel et sur la terre?”, et lui dire qu’il faudrait de temps en temps s’intéresser à autre chose qu’à la forme. Finalement, la mentalité est la même partout dans ce pays.

Investir peu. Que dans la pierre. Jamais dans l’humain. Ne rien transmettre. Construire vite. Et gagner. Beaucoup et vite. De gros sous pour les uns,des points au paradis pour les autres. Et si on arrêtait de jouer les épiciers à crédit avec Dieu ? Bien sûr que la générosité, la bonté, tu trouves ça sublime. Mais avec un peu de bon sens, tu trouverais ça sublime et utile. La construction d’une mosquée est-elle vraiment une priorité ? Il n’y a qu’à sillonner un peu le plus beau pays du monde pour constater qu’on n’est absolument pas sous- équipé en mosquées. Il y en a quarante-cinq mille, et ce n’est pas toi qui le dis, ce sont les chiffres officiels. Soit une mosquée pour sept cents habitants. Pour info, il y a 0,92 lit d’hôpital pour mille habitants. Tu trouves que ça se passe de commentaires. Les chiffres parlent pour eux-mêmes. Et que celui qui ne trouve pas ce constat édifiant t’offre le même tapis de prière que lui. En plus d’absoudre les péchés, il doit anesthésier le discernement, et c’est sans doute nécessaire pour continuer à trouver le fonctionnement de ce pays normal.