Quatre œuvres de l'écrivain israélien Amos Oz à lire ou à relire

Amoureux des mots et militant pour la paix dans le conflit israélo-palestinien, en faveur d'une solution à deux États, le romancier et essayiste israélien Amos Oz s'est éteint le 28 décembre des suites d'un cancer. Retour sur quatre livres majeurs de cet homme de plume, tout autant poète qu'engagé.

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L'écrivain israélien Amos Oz en 2010 à Budapest Crédit: GERGELY BOTAR / AFP

Oz » en hébreu signifie la force. Romancier, poète et essayiste, Amos Oz avait la force de ceux qui osent, de ceux qui racontent par la beauté des mots la douloureuse et houleuse histoire d’Israël, son pays. Décédé le 28 décembre, à 79 ans, ce grand homme de lettres a incontestablement marqué les consciences. De par sa plume, et à travers son engagement pour l’émergence d’un État palestinien coexistant avec celui d’Israël, Amos Oz était un fervent partisan de la paix dans le conflit israélo-palestinien. Cofondateur en 1978 du mouvement « La Paix maintenant », Amos Klausner, de son vrai nom, s’est vu récompensé par de nombreux prix (Paix des libraires allemands, Franz-Kafka, Prix Brenner…).

Ses nombreuses œuvres, traduites de l’hébreu dans trente-neuf langues, évoquent avec maîtrise et poésie l’amour, l’amitié, la mort, le deuil, la mélancolie… Mais aussi, et surtout, les écrits d’Amos Oz narrent le récit d’Israël – à laquelle il dévouait une profonde affection – et de ses relations dévastatrices qu’elle entretient avec son voisin, la Palestine. Retour sur quatre ouvrages marquants d’un des auteurs qui aura certainement le plus marqué la littérature israélienne au cours du dernier demi-siècle.

Judas (Gallimard, 2016) 

Jérusalem, 1959. Le froid et la pluie cristallisent la ville. Abandonné par sa petite amie, sans un sou en poche, Shuml erre dans les rues désertes. A la recherche d’un petit salaire, l’étudiant, qui vient de prendre la décision d’abandonner ses études en théologie, tombe sur une annonce proposant d’habiter chez un vieil homme en échange d’une mince rémunération. Le jeune homme, réservé et hypersensible, devient alors celui qui tiendra compagnie à Gershom Wald.

Grand vieillard, au physique disgracieux et au corps ravagé par l’âge, Gershom, est un intellectuel insatiable. En échange de l’accueil de Schuml, l’homme de lettres peu chaleureux, demande au jeune homme cinq heures de conversation et de lecture par jour. S’en suivent alors entre les deux protagonistes de longs dialogues sur la question arabe et l’histoire du sionisme. Dans ce huis clos hivernal, un autre personnage vient chambouler la tranquillité de ses conversations-fleuves : la belle et mystérieuse Atalia, qui habite aussi sous le toit de la petite maison poussiéreuse. Schuml, s’éprend pour cette femme aussi inaccessible que mélancolique et va progressivement découvrir le lourd secret qui la relie à Gershom.

Judas est un roman sombre teintée de lumière, un récit ponctué par une histoire d’amour impossible et d’une amitié platonique au passé douloureux. Judas, par la remarquable réflexion d’Amos Oz sur la figure du « Traîte », est avant tout un reflet par les mots d’une Jérusalem des années 1960 fracturée et tiraillée entre ses rêves déchus et ses espoirs fantasmagoriques. À travers les lignes de son dernier roman, Amos Oz offre au lecteur de véritables clefs pour comprendre l’histoire d’une Israël d’hier et aujourd’hui.

Une histoire d’amour et de ténèbres (Gallimard, 2004)

« Il était une fois un village que ses habitants avaient déserté. Même les chats et les chiens étaient partis. Et les oiseaux aussi… ». Alors âgé de 12 ans, la mère du petit Amos se suicide. Suite à cette disparition brutalement tragique, le jeune garçon part à la recherche de réponses pour comprendre ce qui a poussé sa mère à faire ce choix. Le récit romanesque quitte Jérusalem pour remonter le temps et voyager sur le Vieux Continent : en Ukraine et en Lituanie.

L’Histoire se mêle alors à l’intime. A travers l’histoire tragédico-comique de sa famille, au fil des chapitres, Amos Oz fait renaître les douloureux souvenirs de la diaspora juive. Une histoire d’amour et de ténèbres, traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen, laisse des traces indélébiles qui livrent au lecteur la possibilité d’entrevoir, sous un prisme différent, l’histoire d’un peuple en quête d’ancrage.

Aidez-nous à divorcer ! Israël Palestine, deux Etats maintenant (Gallimard, 2004)

Dans cet essai de trente-neuf pages regroupant les propos d’Amos Oz durant une conférence tenue en Allemagne lors des accords de Genève, le romancier laisse place à l’homme engagé pour livrer un manifeste contre le fanatisme dans la résolution du conflit israélo-palestinien. Court, mais efficace, Aidez-nous à divorcer ! Israël Palestine, deux Etats maintenant, plaide pour une séparation à l’amiable entre Palestiniens et Israéliens et pour la création d’un État propre à chacun en vue d’une éventuelle réconciliation.

Une vision utopiste pour beaucoup qu’Amos Oz n’a cessé de défendre, notamment en ces termes dans l’ouvrage :  » […] Plutôt que de traiter les Israéliens de ceci, et les Palestiniens de cela, je ferais tout ce que je peux pour aider les deux peuples. Pourquoi ? Parce que ces deux peuples sont sur le point de prendre les décisions les plus douloureuses de leur histoire. » Ici, sont subliminalement pointés du doigt les leaders et intellectuels européens de l’époque, trônant dans leur tour d’ivoire bien loin de la réalité dont Amos Oz est directement témoin. Suggéré plutôt que juger, un principe auquel Amos Oz n’a jamais dérogé.

Seule la mer (Gallimard, 2002)

Albert Danon est seul. Sa femme vient de mourir, son fils est parti en voyage au Tibet. Bettine, veuve aussi, s’inquiète pour son ami, surtout depuis que la petite amie du fils d’Albert, Dita, est venue habiter chez lui. La jeune et sulfureuse Dita, entre les conversations et l’intimité qu’elle partage avec le père de son ex-compagnon, écrit des scénarios. Un petit producteur, Doubi Dombrov, rêve de mettre en scène un des écrits de Dita. Séduit par la jeune femme, Doubi Dombrov s’immisce à son tour dans ce chassé-croisé de voix, de personnages et d’histoires qu’Amos Oz relate dans un style dépourvu de toute conformité littéraire.

Seule la mer, paru en 1999 et publié en français en 2002, est une oeuvre à part. Poème, roman, récit à mi-chemin entre la philosophie et la psychanalyse, l’ouvrage raconte simplement la vie ordinaire de personnes ordinaires confrontées à leurs désirs, leurs craintes, leurs fantasmes, leurs fantômes et leurs rêves. Un texte musicalement désordonné qu’Amos Oz a travaillé pendant plus de cinq ans. Le résultat : une ode lyrique laissant libre cours à l’imagination du lecteur qui voyage, au fil des vers de l’auteur, dans une Israël en errance.