Zakaria Boualem et le blocage des appels VoIP

Par Réda Allali

Dans certaines contrées, la production de pages comme celle-ci est le produit d’un extraordinaire effort d’imagination, la manifestation d’une créativité de bonne facture. Chez nous, al hamdoulillah, tout est plus simple: le pays livre le sujet jusqu’aux portes de votre traitement de texte, emballé d’une dose d’absurde d’excellente qualité, il ne reste plus qu’à recopier le tout. C’est exactement ce que Zakaria Boualem va faire ici, et merci. Voici l’affaire: vous savez sans doute que, depuis quelques semaines, les appels vocaux via des outils comme Viber, WhatsApp ou Skype sont bloqués chez nous. On a commencé par imaginer qu’il s’agissait d’une décision sécuritaire, et personne n’a osé geindre. D’autres ont parié sur un problème technique, autre supputation erronée. Car l’ANRT, l’organe chargé de règlementer tout ce petit monde, est venue nous expliquer la chose. Si on ne peut plus passer ce genre de coup de fil gratuit, c’est parce que l’organe en question a décidé de les bloquer. Et s’il a décidé de les bloquer, c’est pour deux raisons, très bien décrites dans un communiqué, appelé à rejoindre rapidement le panthéon de l’absurde administratif. Raison numéro  1: Ces applications n’ont pas de licence. Raison numéro  2: Elles empêchent les opérateurs de gagner plus d’argent.

Inutile de s’attarder sur la raison numéro 1, nous avons passé suffisamment de temps ensemble pour savoir que chez nous, ce genre d’argument est la manifestation administrative d’une mauvaise foi plus profonde. Elle est justement exprimée dans le point numéro 2. On ne peut pas utiliser Skype parce que ça fait moins d’argent pour les opérateurs, c’est très simple. Le monde entier peut l’utiliser mais nous, Marocains, on a peur pour nos opérateurs, qui ne gagnent pas assez d’argent les pauvres. Il est étonnant qu’aucun organisme ne soit monté au créneau pour expliquer que Zakaria Boualem, lui non plus, ne gagnait pas assez d’argent le pauvre. Le Maroc Moderne est conçu pour les opérateurs, pas pour les Zakaria Boualem qui en bloquent l’avancée glorieuse par leurs geignements incessants et contreproductifs. Il est inutile d’expliquer que, au final, les opérateurs bénéficient de ce genre d’appels gratuits puisqu’ils vendent de la connexion Internet. Pas la peine d’argumenter en parlant de combat d’arrière-garde, inutile d’ironiser sur cette touchante croisade, perdue d’avance, gagnons du temps s’il vous plaît. Tout le monde a compris le principe. Nous avons construit un pays qui, sur le papier, dispose de tous les brillants atours de la modernité. Tous les outils sont là, clinquants. Il manque juste l’esprit, en fait. Ce petit truc qui fait que le Zakaria Boualem ne soit considéré ni comme une vache à traire à vive allure, ni comme un locataire en transit vers des cieux plus propices, mais comme un vrai citoyen. Un nouvel esprit, quoi, ce n’est pas facile à définir. Un truc qui encadre notre capitalisme sauvage, qui protège un peu notre portefeuille des phénoménales marges que nos héros de l’économie réalisent un peu partout autour de nous.

On ne parle pas de droits, de dignité ou de concepts importés par des ennemis qui souhaitent nous déstabiliser, hein, on parle juste de dirhams. Zakaria Boualem ne comprend pas grand-chose à l’économie, mais il sent bien que de nombreuses choses lui échappent. Il trouve tout cher autour de lui. L’immobilier est hors de prix alors que nous avons de la place pour construire un peu partout et une main-d’œuvre bon marché, les voitures coûtent deux fois plus cher qu’en Europe, on ne sait pas trop pourquoi. L’eau et l’électricité sont une torture mensuelle, un racket arrogant effectué avec les “yeux grands sortis”. Et maintenant, on n’a plus Skype, voilà. Et il n’y a aucune raison que ça s’arrête, parce que nous avons l’habitude de tout supporter sans protester, c’est le secret de notre stabilité légendaire.

Voilà, c’est tout, et merci.